Je fouine ... museau soulevant à grandes mottes rageuses cette neige, pattes crevant la fine couche de gel qui couvre le blanc manteau...
Chevrette perdue, je hume sous la neige... Par ci par là, des friandises gelées, bourgeons de fleurs ou brindilles vertes, vestiges d'un Décembre trop tiède. mais tel n'est pas le but de ma quête...
Je ne sais pas ce que je cherche, mais je sens que je dois trouver... Une étoile, une amitié, une voix ? Quelle est la clé de ce mystère ? Un instinct sourd me guide, impérieux...
J'entre sous la futaie lourde de flocons... Accrochés à ma fourrure, ils fondent en perles...
Cette muraille de houe luisante de vert,  devant moi, je m'y risque.. et je dégringole, pattes repliées sous moi, dans un trou.
Une sorte de puits, , une vieille porte voûtée qui s'offre... J'entre... téméraire, mais il faut !
Il fait noir... narines frémissantes, je hume dans cette salle obscure des odeurs familières...
Le silence me saisit... Il est profond, aussi opaque que l'ombre qui m'entoure
Au fond, il y a quelqu'un, quelque chose, je ne sais pas... Mon 6ème sens...Ma race sait flairer le danger... Mais là, la présence semble douce, bienveillante... J'avance, prudemment,  cornes en avant, au cas où...
Sur la paroi, deux YEUX, rien que deux YEUX, vivants, étincelants même, me scrutent...
La voix est profonde : "Que cherches-tu, chevrette ?"
"C'est bien mon problème... je cherche, mais je ne sais pas quoi ! et toi, le REGARD, qui es-tu ?"
"Question sans réponse, chevrette... Je te regarde, et que celà te suffise ! Depuis que tu fouines là-haut, je te regarde. Et c'est moi qui t'ai attirée ici, loin de tout, en ce lieu caché.
Mais je n'aurais pu t'y attirer si tu n'avais pas été à l'écoute... C'est bien, chevrette, reste toujours à l'écoute..."
"Ecouter quoi ?  écouter qui ? Il y a tant de bruits, tant de paroles là-haut !"
"Flaires, choisis ! Tout se dit, mais tout n'est pas bon à entendre, et encore moins à retenir !"
Je frissonais soudain... et pourtant en la tiédeur de cette caverne il devait faire meilleur que là-haut, dans l'herbe gelée...
Les YEUX alors me pénétrèrent au plus intime... se firent plus brillants, incisifs, et voilà qu'ils me réchauffaient...
Je ne puis dire combien de temps celà dura... Puis soudain, les YEUX disparurent.
Seule la voix me dicta : "A présent, chevrette, remonte là où est ta place... Tu verras plus clair désormais. Ces YEUX, ce sont ceux de ton coeur..."
Je me retrouvais, engourdie par le froid, dans la prairie gelée... Avais-je rêvé ?