Cet article m'est inspiré par le suicide de Nelly Arcan, ici
Le suicide, consciemment réfléchi, préparé et voulu, me trouble beaucoup.Vous le voyez, je "limite" bien dans cette 1ère phrase le domaine de ma réflexion.
J'exclus les suicides de "faiblesse", ceux provoqués par une souffrance physique trop intense, ou la douleur psychologique brutale provoquée par une rupture brutale d'amour, le deuil insupportable de parents qui voient partir accidentellement leur enfant... ou autres.
Ces suicides-là, je les "comprends"... ("comprendre", mot pourtant peu légitime, à mon avis, tant qu'on n'a pas "subi" la souffrance qui a mené à l'acte suicidaire... Rares sont ceux à qui j'ose dire "je te comprends" : j'aurais trop l'impression de mentir !)
Si je parle ici de ce thème, le suicide, c'est parce qu'à côté de "chez nous", une écrivaine célèbre, encore jeune (36 ans), nominée pour les prix Femina (2 fois) et Médicis (1 fois), s'est suicidée il y a 5 jours (25 Septembre).
Sur elle reposaient donc tous les espoirs d'une ascension sociale en tant que femme de lettres. Même si le titre de ses 2 livres les plus connus ("Putain" et "Folle") inquiète et trouble. Autant que le titre (prémonitoire ?) de son roman à paraître : "Paradis clef en main"...
Elle a financé ses études de lettres ici à Montréal en étant "escort-girl" (on dit seulement ici "escorte"). Probablement une "job" qui marque le corps et le coeur. (Une "escorte" n'est pas seulement une fille qui fait visiter Montréal à des clients : elle doit aussi souvent faire visiter son corps ! Un moyen de "payer" frais d'études ou logement pas si rare !). Elle veillait beaucoup à sa présentation physique, et pratiquait dans une salle de gym proche d'ici.
Comment peut-on, quand on est connue, respectée et belle, se suicider en plein "force de l'âge" ?
J'ai personnellement eu bien trop peur de mourir, entre 12 à 15 ans, pour avoir jamais eu idée de me suicider !Mais je rencontre des gens de mon âge qui, parfois, semblent prêts à envisager de tout arrêter entre 18 et 25 ans. Ce n'est jamais clairement énoncé, mais on sent une rupture d'équilibre, comme une tentation.
C'est rarement une question de "misère économique"... les statistiques montrent d'ailleurs qu'on se suicide plus dans les pays riches que dans les pays pauvres, plus en période de paix que de guerre.
J'ai parfois l'impression que ce qui manque, c'est la "rage de vivre", une envie guidée par un idéal, une ambition ou autre...
Notre monde, ou plutôt l'image qu'en donnent les médias, est artificiel, souvent ridicule.
Les adultes nous semblent souvent limiter leur ambition à des objets prestigieux de "confort" : maison, bagnole, piscine, etc...
Jeunes, nous sommes parfois "extralucides" : nous nous voyons déjà, comme certains vieillards que nous connaissons, en fin de vie ! décrépits, diminués, impotents... et nous nous disons : "à quoi bon vivre pour en arriver là !" Je le lis parfois dans des blogs.
Il y a aussi nos rêves brisés dès la sortie du lycée : telle filière ne veut pas de nous, des places manquent dans telle école, des prépa qui nous obligent à nous réorienter, des amphis ennuyeux bien loin de notre "projet personnel"... et simplement lassitude, transports, mal-bouffe, vie seule dans une piaule... et la nostalgie du "groupe-lycée", souvent chaud et convivial, qui nous manque tant...
Bref, on peut analyser à l'infini cet ennui de vivre. Pourtant Europe, Amérique du Nord, d'où je parle, sont, avec d'autres zones du monde, relativement calmes et aisées.Dans ces zones, il s'agit moins de misère que d'une "lassitude de vivre" qui peut mener au suicide,
Je la ressens comme une "faiblesse" inhérente à notre mode de civilisation. Une sorte d'ennui.
De manière ou d'autre, il nous faut recréer l'aventure au sein de nos vies, pour casser cette routine.
C'est quand on trouve la vie ennuyeuse que, comme pour un film "navet", la tentation nous prend de quitter la salle.
Une citation du philosophe Sénèque illustre bien mon propos :
"Certains en ont assez de faire et de voir les mêmes choses et ont pour la vie non de la haine, mais du dégoût. C'est sur cette pente que nous pousse la philosophie quand nous disons : "Jusqu'à quand la même routine ? Vais-je encore m'éveiller, dormir, avoir faim, me remplir, avoir froid, avoir chaud. Rien ne connaît de fin; au contraire, dans le monde, tous les éléments s'écoulent et s'enchaînent. La nuit chasse le jour, le jour chasse la nuit, l'été s'achève à l'automne, l'automne est pressé par l'hiver qui s'évanouit devant le printemps; tout passe de manière à revenir. Je ne fais rien de neuf, je ne vois rien de nouveau : cela donne quelquefois la nausée." Nombreux sont ceux qui ne jugent pas la vie pénible, mais superflue. Salut."
SÉNÈQUE, Lettres à Luc., III, 24, 25-26.