Elle est sortie, je l'ai suivie...
Je suis son ombre blanche... Dans les rues silencieuses et sombres (les réverbères sont éteints), elle marche, anonyme, dans le mélange de neige et de sel durcis; elle refait sa tournée coutumière des pâtés d'immeubles voisins : dévier de ce circuit familier lui fait peur...Besoin pourtant de sortir, de s'aérer, d'échapper à la chambre trop clean et impersonnelle de la résidence, aux bruits divers suintant de sous les portes dans le long couloir, s'évader d'un univers devenu prison à force d'être coutumier.
Simplement vagabonder dans ce méandre urbain, écouter le silence des rues, à peine déchiré au loin par quelques pétarades de moteurs indiscrets...
Et moi chevrette, je trottine sur les trottoirs derrière ma maîtresse : je suis sa part d'imaginaire, son échappée hors des contraintes rationnelles, son passeport illusoire pour le brin de folie...
Derrière elle et en elle : je le sais, elle adore que je vienne brouter sur les plates-bandes interdites des raisonnements trop logiques, des pensées trop ordonnées...
En marchant devant moi, enserrée frileusement dans ses vêtements d'hiver, tête et chevelure invisibles sous l'ample capuche, dans ce petit vent glacé, à quoi pense-t-elle, que cherche-t-elle ? une paix intérieure ? un sens à sa vie ?
A quoi bon ces efforts, ces années d'étude si on n'est pas sûr de vivre longtemps ? Qu'est-ce qui est le plus vital dans une vie courte, le devoir ou la jouissance ? A trop en "vouloir" au nom du devoir, l'homme se victimise-t-il lui-même... Mais, à l'inverse, la jouissance elle-même n'est que succession de petits plaisirs... et le plaisir, c'est comme quand tu appuies sur la touche d'un piano : une note cristalline ou voluptueuse qui s'échappe et s'envole à tout jamais, si futile et brève !
Brusquement, la bise se fait plus cinglante. Elle serre son manteau et hâte le pas. Il est temps de remonter vers l'inéluctable chambre-dortoir, de clore la fenêtre de lumière sur la nuit avide, de rincer le bas des pantalons et les souliers pour en diluer le sel.
Et moi, j'attends impatiemment qu'elle s'étende sur sa couche ! Alors, je poursuivrais en son esprit ma sarabande de chevrette follette pour brouter sans pitié tous ces boutons de fleurs violettes ou sombres... Dans le demi-sommeil, elle sait moins se défendre et j'ai le champ libre...
Je déteste la sentir trop sérieuse...
Peut-être que le sens de sa vie, finalement, elle le connaît depuis longtemps mais qu'elle n'ose plus y penser tant l'enfermement lui pèse ?
Ces années d'études auront beau être dures, elles seront belles, car ce sont elles qui bâtiront ton avenir et te serviront de passeport à tous tes voyages et toutes tes découvertes futures ! Et peut-être même seront-elles à l'origine d'une rencontre qui pourrait encore sublimer ton accomplissement personnel ? le bonheur, tu sais, c'est un équilibre. Entre la liberté et la dépendance. Enfin c'est l'idée que je m'en fais en tout cas :)
Gros bisous ma chevrette adorée !