Un clochard fou dans ma
prairie : Diogène
(7ème conte philosophique)
Il fait un grand
soleil dans ma prairie! Tout d’un coup, à côté de moi, un petit rouge-gorge de
mes amis s’envole effrayé ! Je relève la tête ! Là-bas, près de la haie, un
tonneau est venu s’échouer, et, à côté du tonneau un homme !
Etrange ! avec une lampe allumée à la main, il marche et semble chercher
quelque chose ! Une lampe en plein soleil ! encore un taré ! (il y en a
beaucoup dans cette race des hommes). Je veux voir de plus près et m’approche.
Pire que ce que je pensais : cet homme ne porte sur lui qu’une
sorte de guenille puante… qui ne cache pas le fait qu’il est TOUT NU !
Pas
de slip, pas de pantalon !
Bon, moi perso, la chevrette, je m’en fous un
peu… mais çà se fait pas çà, pour un mâle d’homme. (Des jeunes femelles humaines,
oui, j’en ai surprises, étendues toute nues au soleil dans ma prairie,
mais
c’est pas le sujet !)
"Eh, monsieur, lui dis-je, çà va pas la
tête ? Vous cherchez quoi, comme çà,
tout nu avec une lampe allumée,
à midi, dans cette prairie ? "
" Tiens, me répondit-il, une chèvre qui parle ! Ben pourquoi pas, après
tout !
Vu que les hommes sont tous devenus des moutons,
pas
étonnant que les chèvres se mettent à parler !
Eh bien, chevrette, bonjour à toi ! de la
part du Chien !
Ce que je cherche, c’est l’Homme, le Vrai !»
« Mais, monsieur, pourquoi parlez-vous de moutons
pour vos semblables ?
et puis vous, vous n’êtes pas un chien ! »
Diogène chassa une grosse mouche (il puait plus qu’un vieux bouc !) :
« Ce sont mes
contemporains qui me traitent de chien,
et mes disciples, de « cyniques »
(disciples du chien !) .
Parce que nous leur disons qu’ils ne sont
que des moutons consommateurs,
attachés aux richesses matérielles.
Notre
idéal, à nous cyniques, c’est le détachement de tout.
C’est pour
cela que je loge dans ce tonneau, comme un chien dans sa niche !
Les autres, je les provoque, je les nargue,
je les enc**e, je me fous d’eux !
des moutons ! qui
courent après la mode, les richesses, les honneurs !
Dis-moi, chevrette,
j’ai chaud ! tu sais où il y a de l’eau dans ce bled ? »
Je menais Diogène à une mare, derrière la
haie, entourée de bouses de vaches, à l’eau verdâtre pleine de têtards et de
crapauds. Il y roula son tonneau, le mit debout rempli de l’eau de la mare et
se mit assis dans le tonneau devenu baignoire.
« Va me
chercher des chardons bien piquants ! ».
Je lui amenais 10 gros chardons : il en fit une
boule et s’en servit comme gant de toilette !
«çà gratte pas trop ? » lui demandais-je étonnée !
«Bien sûr que çà pique, idiote ! mais c’est ce que je
veux !
SOUFFRIR pour atteindre ce qu’il y a au fond de moi-même ! »
Après s’être frotté jusqu’au sang, Diogène sortit de son
tonneau !
Des dizaines de taons se précipitèrent pour le piquer
et,
heureux, ce philosophe étrange les laissa faire,
un sourire d’extase sur ses
lèvres !
Mais moi, je crains
les taons… et je courus loin de ce clochard fou !
Diogène le Cynique (v. 413-v.
327 av. JC)
Le nom même de cynisme dérive de son
sobriquet, le Chien, dont l'affublèrent les Grecs pour illustrer le
comportement sans pudeur de cet homme qui vivait comme un animal :
il faisait
tout en public, mangeant, injuriant et se masturbant devant ses concitoyens.
Les anecdotes émaillent sa vie. A Alexandre le Grand, planté devant son
tonneau, qui lui demandait ce qu'il désirait, il répondit sans ambages : “Que
tu t'ôtes de mon soleil”. Platon l'a décrit comme “un Socrate en délire”. A
l'instar du philosophe, il encourageait les hommes à observer leur comportement
et à mener une existence vertueuse, c'est-à-dire affranchie de toute servitude,
contrainte (sociale ou morale) et désirs de richesses et d'honneurs. En
rejetant la possession, les biens et les conventions, il se concentra sur la
maîtrise de la seule chose de valeur qui pour lui existait : son âme.
Si
Socrate avait encouragé la vie simple, Diogène,lui, vécut une existence digne
d'un pur ascète