Moi, chevrette, je me décide à vous écrire de nouveau un conte
depuis ce lointain pays où je me sens bien petite : car ici règnent l'imposant
Caribou et le dangereux
Grizzli ! Ici on nomme "
chèvre" mes cousines au pelage fauve et tacheté nommées ailleurs "
biche". Dépouillée de tout nom, me voici aussi invisible qu'anonyme : on ne voit pas ceux qu'on ne peut même nommer !
Et, sans mes amis écureuils, je serais bien seulette !
Avec eux, je cherche la nourriture sous la neige ou le givre, car à l'automne doux et humide succède maintenant l'hiver rigoureux.
Ces temps-ci, les villes sont illuminées d'immenses sapins décorés, et les gens trottent sur les trottoirs, affairés, courent les magasins, pressés de dépenser l'argent que, pleurent-ils, ils n'ont pas !
Loin des lumières artificielles, sur le
Mont Royalune montage au dessus de ma ville, je suis montée par ce crépuscule de brusque redoux...En bas, la ville phospore et bruisse !
Ici, dans les sous-bois déserts, avec mes amis à queue empanachée, nous farandolons !
Blanche-Neige et les 7 nains, version animale !
Soudain, notre cercle devient immobile : ELLE est là au milieu de nous
scintillant encore faiblement sur le grésil brillant, une étoile chue du ciel !
Si faible et fragile, elle ne rayonne que par soubresauts.
Mais soigne-t-on les étoiles qui meurent ?
Les écureuils qui furettent partout me signalent un vieux réparateur d'étoiles au fond d'une ruelle : nous retournons à la ville et trouvons ce vieux monsieur dans son échoppe misérable : une pancarte aux couleurs délavées indique "
Réparateur d'étoiles".
Il voit l'étoile mourante, que je tiens délicatement entre mes lèvres. Il la saisit, la contemple, hoche la tête et nous dit : "
Une victime de plus ! Je ne sais pas si elle s'en tirera ! Mais moi, mon métier, florissant autrefois, est périmé ! Que puis-je contre la pollution et les lumières de la ville qui masquent le ciel et les étoiles ! Les stars d'aujourd'hui n'ont plus rien à faire avec les étoiles de jadis que je réparais avec amour, pour leur permettre de s'envoler et se fixer au firmament à nouveau. Ces stars craignent le ciel trop froid, le silence de l'Univers, ne supportent qu'écrans en appartements climatisés et bruits qui vont avec. Fictions éphémères et paillettes vides !
Promène-toi dans la ville, chevrette, avec ton étoile :
je suis trop vieux, démuni, mais qui sait ? la ville est vaste
et, j'en suis sûr, tu trouveras quelque être capable de rendre vie à ton étoile !"
J'allais à la porte d'un grand magasin, au service après-vente (mes amis écureuils, peu aimés dans ce genre de lieu, s'étaient cachés)
La dame du guichet compulsa son catalogue, d'un air bougon, examina l'étoile puis me la rendit : "
Ce modèle ne vient pas de chez nous ! pas de pile, pas d'électronique ! Jamais vu ! même dans le catalogue des produits japonais, il est inconnu ! Nous ne pouvons donc la réparer, mademoiselle !"
J'étais déjà partie ! Mais pour aller où ?
Sur le trottoir, dehors, une jeune mère emmitouflée tend la main. Dans ses bras, une enfant, enveloppée d'un grand châle. L'enfant, voyant l'étoile suspendue à mes lèvres, pousse un cri de joie, et, innocente, de ses petits doigts, m'arrache l'étoile et la porte à sa bouche pour l'embrasser, en riant.
Et, surprise ! l'étoile soudain brille, brille, explosant de lumière !
Echappant aux mains de l'enfant qui applaudit, elle monte vers le ciel et disparaît au-dessus des lumières de la ville.
Vite, nous voici remontés en hâte sur le Mont-Royal, là où le ciel est plus sombre.
Là-haut, une étoile de plus brille et nous fait signe...