Il est ennuyeux, si on achète un livre de 1400 pages, même en collection de poche à 10€, d'avoir à se demander au bout des 100 premières pages si on ne s'est pas trompée et pourquoi diable ce bouquin a été primé en 2006 par un Goncourt !
Ce livre est écrit par un "Américain" ... mais rédigé en Français, car l'auteur
Jonathan Littell, de mère française et de père Juif Polonais, a passé son enfance et son bac en France. Il avoue lui-même avoir "vomi" ces 1400 pages en ...112 jours ! D'où sans doute l'aspect souvent "lourdingue" du style, en français correct, mais sans plus. Narration souvent plate. Nombreuses digressions. C'est l'horreur de l'époque, la crudité du récit qui maintiennent le lecteur en haleine.
L'auteur connaît la guerre, pour avoir beaucoup travaillé 7 ans dans des ONG sur des sites de guerre (sa biographie
ici) . L'écriture du roman s'appuie sur une documentation fouillée des archives nazies et de la guerre 1940-45 en Europe.
Un
roman, oui,
narration fictive par un officier SS de la sinistre aventure où, jeune étudiant brillant, il est embringué par la folie d'Hitler, comme lieutenant des terribles unités de "nettoyage"
(Einsatzgruppen ) qui "purifiaient" le terrain après le passage des unités allemandes, dans les pays d'Europe Centrale.
"
Purifier" consistait, en un premier temps, à repérer tous les hôpitaux de malades mentaux, handicapés de toutes sortes, ou centres d'enfants "anormaux", à en extraire les "pensionnaires" et à les faire s'allonger en "sardines" (pour économiser de la place) au fond d'une fosse creusée à l'avance, puis à la faire arroser à la mitraillette, l'officier commandant de l'opération étant ensuite chargé d'achever la tâche en descendant au fond de la fosse pour "terminer" ceux qui remuaient encore d'un coup de revolver dans la nuque.
Cette première "
purification" se poursuit par le repérage de tous les Juifs, tsiganes, homosexuels, que l'on regroupe, enfants, femmes, vieillards, sous prétexte de les protéger de populations environnantes souvent hostiles, afin de les attirer dans un guet-apens : mitraillage collectif, toujours dans des fosses (les camps d'extermination n'existent pas lors de cette invasion de l'Europe Centrale sur la route de la Russie).
Le récit nous est asséné à la première personne
par le Dr Aue, officier SS : un intellectuel doué, passionné de littérature et philosophie, entouré d'officiers eux aussi souvent brillants.
Pour eux, ce génocide n'est pas raciste, mais "patriotique" : il s'agit d'empêcher "préventivement" toute action de sabotage des troupes allemandes par l'arrière. Et cela systématiquement : culture et intelligence conjuguées pour l'annihilation des populations "à risque", hommes femmes et enfants. Une opération de salubrité militaire, menée froidement, sans états d'âme ! L'officier SS, nouveau héros allemand, doit sacrifier tout scrupule personnel, toute sentimentalité, au profit de la grande œuvre du Führer !
On sort, après la première partie, écœurée d'une série de récits aussi froids qu'immondes. D'autant que ce fameux Dr Aue a des problèmes psychologiques : enfant renié par sa mère, lui et sa sœur jumelle, avec laquelle il a eu, adolescent, une liaison incestueuse; névrosé, il vit en homosexuel clandestin (
sinon ce serait le tribunal militaire et l'exécution) et son récit est émaillé de cauchemars.
Les "
Bienveillantes", titre du livre, ce sont les
fameuses déesses malveillantes d'Euripide : elles mènent le Dr Aue à son destin tragique de rouage docile dans l'immense mécanique de la Shoah. On en aurait presque pitié de lui, et non des victimes dont il dirige l'abattage.
Peut-on être responsable, donc coupable, quand on est simple rouage social ? question philosophique et morale qui hante ce livre...
Je n'ai lu que 700 pages sur 1390. Si vous aimez l'horreur, celle-ci date de moins de 75 ans et est palpitante.... jusqu'à écœurement du lecteur, devenu presque voyeur morbide. Dans les 700 pages suivantes, le Dr Aue monte en grade et est l'un des responsables de la "solution finale" (les camps d'extermination). Je ne sais quand je lirais cette 2ème moitié du livre : besoin de "laisser décanter" ... la lie !
Pour plus de détails (ce livre en fourmille) voir l'article de Wikipédia ici
Ce livre est un piège étouffant : avant de le débuter, sachez que vous risquez d'y choir !
citation, p. 96 :
"Si l'on m'avait donné un Teilkommando, aurais-je pu, moi aussi, comme Nagel ou Häfner, organiser des rafles, faire creuser des fosses, aligner des condamnés, et crier « Feu ! » ? Oui, sans doute. Depuis mon enfance, j'étais hanté par la passion de l'absolu et du dépassement des limites ; maintenant, cette passion m'avait mené au bord des fosses communes de l'Ukraine. Ma pensée, je l'avais toujours voulue radicale ; or l'État, la Nation avaient aussi choisi le radical et l'absolu ; comment donc, juste à ce moment-là, tourner le dos, dire non, et préférer en fin de compte le confort des lois bourgeoises, l'assurance médiocre du contrat social ? C'était évidemment impossible. Et si la radicalité, c'était la radicalité de l'abîme, et si l'absolu se révélait être le mauvais absolu, il fallait néanmoins, de cela au moins j'étais intimement persuadé, les suivre jusqu'au bout, les yeux grands ouverts."