L'
et la Chevrette
(6ème conte philosophique)
Quand je suis sortie de la caverne de
Platon (lire le conte philosophique précédent)
La prairie ensoleillée était encore toute humide de l’averse.
Et évidemment, ma première rencontre fut celle d’un escargot !
Je déteste les escargots : ils
bavent partout sur les plantes odorantes que je croque !
De plus celui-ci, un petit gris, était
effronté :
ses petits yeux, perlant au bout de cornes rétractiles, me fixèrent avec
malice.
« Alors, chevrette, on cherche un
bouc ! » me lança-t-il gouailleur.« Si jeunette ! T’as pas
honte de courir les garçons ! »
Un vrai lascar d’escargot, celui-là, et
malpoli en plus !
« D’abord, je connais pas de bouc ! et puis que sais-tu de mon âge, toi ,
spirale grise ? »
L’escargot cracha un jet de bave blanche et ricana : « Tu sais, je suis très bien placé pour jouer le voyeur, là,
dans l’herbe, sous ton ventre : les 4 ridicules petits tétons roses comme
tu as ne font pas une vieille bique ! »
Commençait à vraiment m'énerver ce mollusque !
« Alors, si je suis si jeune, pourquoi veux-tu que je
cherche un bouc ? »
« Tes
hormones, ma chérie, tes hormones ! Vous autres, mammifères, elles vous
commandent ! »
Vexée, je lui répondis « Ben, toi aussi, tu es bien un animal comme moi ! »
Nouveau crachat de bave : « Et en
plus d’être chèvre, elle est ignare ! Ne sais-tu donc pas que je suis
hermaphrodite ? à la fois mâle et femelle ? »
Moi, toute mon éducation sexuelle se résumait à ce que le Centaure, dans ses
vilains jeux, m’avait appris lors de mon vagabondage interstellaire (voir le 2ème conte du 4 Octobre).
Hermaphrodite, je connais pas !
« Tu me racontes des histoires
là, escargot !
On peut pas être les 2, garçon ET fille ! On est l’UN OU
l’AUTRE ! »
« Eh bien, moi, l’escargot, je suis l’UN ET l’AUTRE !
Pour moi, l’amour consiste à chercher le MEME
et non, comme vous, ridicules mammifères, à courir après l’AUTRE !
C’est d’ailleurs pour çà que nous, les escargots, nous avançons si
lentement !
Pas besoin de courir : l’AUTRE est en nous !
Nous sommes des êtres complets, nous ! »
Décidément, ce petit escargot me
remplissait de curiosité !
Comment faisait-il pour être à la fois
garçon et fille ?
Mais il n’existe pas d’animal plus habillé que l’escargot !
Et sa coquille ne permet pas de savoir
à quoi çà ressemble,
En dessous du nombril, un hermaphrodite !
« Pourtant, c’est beau l’Amour » susurrais-je d’une voix romantique !
Et, en disant ceci, je rêvai d’un
jeune et beau petit bouc
qui me guetterait par dessus la haie, là-bas, au fond de la prairie !
« Hihi, si tu veux, chevrette ! tu
verras bien !
Le jour où un vieux bouc puant te foncera dessus,
l'AUTRE, la DIFFERENCE, tu sauras ce que c’est !
Il s’en passe des choses dans cette prairie,
Où rôdent sangliers, cerfs, lapins, faisans ou autres !
Et mes yeux, au bout de leurs cornes,
peuvent voir de tous côtés !
L’Amour, impérieux et impétueux,
est brutal !
C’est le besoin qui le déguise
sous les traits de la beauté,
et fait rêver jouvenceaux et midinettes de toutes espèces !
Mais rêve, petiote, rêve ! C’est
si doux de rêver !
Tiens, moi, je vais m’occuper, TOUT
SEUL ! »
Et l’escargot s’éloigna, laissant
derrière lui une trace brillante…